Le secteur des carburants renouvelables a longtemps été une pierre angulaire de la transition énergétique à l’échelle mondiale, puisqu’il offrait un levier immédiat pour la décarbonation, particulièrement dans les domaines difficiles à électrifier comme l’aviation ainsi que le transport routier et maritime. Bien que les molécules circulent dans les infrastructures actuelles, le modèle d’affaires qui soutient ces carburants renouvelables est tout sauf conventionnel.

Les leaders exploitent le carbone, les données et les réglementations pour obtenir des avantages concurrentiels durables, puisque 79 % des hauts dirigeants du secteur de l’énergie et des services publics ont fait de la lutte contre les changements climatiques leur principale priorité.

Ce changement dans l’orientation des hauts dirigeants souligne pourquoi les carburants renouvelables, bien qu’ils soient complexes, sont de plus en plus perçus comme des actifs stratégiques dans un marché de l’énergie en constante évolution.

En mai 2025, le chef de file en bioéconomie de la Finlande, UPM, a annoncé qu’il mettrait fin à son projet de raffinerie de biocarburants à Rotterdam. La raison officielle : un changement dans l’allocation du capital et de l’intérêt vers des occasions d’affaires plus évolutives au sein de sa stratégie d’exploitation de biocarburants. Cependant, le sous-texte de cette communication renferme un signal pour le marché : bâtir une entreprise rentable et évolutive de carburants renouvelables est structurellement plus complexe que plusieurs le pensent.

Au-delà de la teneur en énergie : la double valeur des carburants renouvelables

Les combustibles pétroliers traditionnels sont évalués et échangés en fonction d’un seul facteur de valeur : leur teneur en énergie. Les marchés sont banalisés, les marges sont minces et l’efficacité règne.

Les carburants renouvelables opèrent selon un modèle de valeur à double dimension :

  • La première dimension demeure la valeur énergétique du carburant, à l’instar des produits pétroliers.
  • La deuxième dimension, qui devient de plus en plus importante, est la valeur des crédits bio : le bénéfice en matière de durabilité ou de réduction des émissions de carbone, souvent mesuré en équivalent de CO2 par tonnes et tarifé selon les marchés du carbone réglementaire ou volontaire.

Ce deuxième flux de valeur n’est pas régulier. Il fluctue en fonction de la matière première, des méthodes de production, de la région et des cadres de gestion des politiques applicables, qui peuvent aller du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS), de la troisième version de la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED III) à la réglementation mise en œuvre par l’État de la Californie visant à réduire l’intensité carbone des carburants (LCFS). Les prix sont influencés par les changements apportés aux réglementations, aux demandes de crédit et aux priorités en matière de développement durable en constante évolution de l’ensemble des marchés.

Afin de saisir la valeur complète, les producteurs doivent aller au-delà de la simple logistique. Ils doivent mesurer l’intensité des émissions de carbone lors du traitement en lots, suivre l’origine de la matière première et composer avec la volatilité du marché du carbone, ce qui exige un nouveau degré de transparence des activités, de la gestion des données et d’agilité en matière de réglementation.

Un nouveau type de stratégie est nécessaire

La décision d’UPM reflète une vérité du marché encore plus importante : l’évolutivité seule n’est pas suffisante. Une réussite dans le secteur des carburants renouvelables exige un nouvel état d’esprit, un qui est capable d’intégrer stratégie commerciale, prospective politique et activités numériques.

Voici quatre changements fondamentaux qui façonnent cette nouvelle réalité.

  1. Les investissements de capitaux exigent un alignement sur les politiques
    La construction d’une bioraffinerie demande des coûts initiaux considérables, mais le modèle de revenus repose fortement sur des mécanismes publics de garantie de crédit qui peuvent changer rapidement. Une synchronisation et un alignement stratégiques à long terme sur les orientations réglementaires sont essentiels.
  2. La complexité des matières premières nécessite des chaînes d’approvisionnement agiles
    L’approvisionnement en huile de cuisson ainsi qu’en graisses animales et autres matières premières usées à faible teneur en carbone se négocie à l’échelle mondiale et est marqué par une concurrence féroce, des offres fluctuantes et des exigences de traçabilité de plus en plus sévères. Les entreprises doivent s’adapter rapidement aux réglementations locales de même qu’aux contraintes liées aux matières premières.
  3. Les marchés de crédits carbone offrent de la valeur, mais demandent de la précision
    Les valeurs associées aux biocrédits diffèrent grandement en fonction du marché et du contexte de conformité. Savoir quand et où intégrer les crédits à la tarification du carburant, ou encore les rentabiliser séparément, est maintenant devenu une décision commerciale importante.
  4. Les modèles opérationnels traditionnels sont insuffisants
    TCe n’est plus qu’une simple question de raffinage. Les entreprises de carburants renouvelables doivent intégrer des systèmes numériques pour le suivi des crédits, l’analyse du cycle de vie et la production de rapports sur la conformité, en plus de leurs activités physiques. Ceci est d’autant plus important, puisque les consommateurs de biocarburants exigent une documentation claire concernant l’origine et les attributs de la matière première utilisée afin de renseigner leurs rapports environnementaux de même que leurs exigences fiscales et de conformité. Ils s’appuient également sur ces données lors de leurs calculs en aval de l’impact cumulatif des émissions de CO2 provenant des produits de vente. Ainsi, la demande pour le suivi et la certification des émissions de carbone continue de croître.

Mise à l’échelle grâce à une infrastructure plus intelligente

Donc, est-ce que cette complexité est un signe que les carburants renouvelables ne sont pas évolutifs? Loin de là. Toutefois, une mise à l’échelle demandeun ensemble différent de capacités ::

  • Des plateformes de traçabilité numériques pour lier les attributs du carbone au carburant physique de manière vérifiable et commercialisable.
  • Des informations commerciales pour décider de façon dynamique où et comment rentabiliser les biocrédits.
  • Une optimisation fondée sur les données pour associer les matières premières aux parcours de production et de crédit offrant la plus grande valeur.
  • Des écosystèmes de partenariats avec des fournisseurs, des organismes de réglementation et des plateformes de marchés carbone pour créer conjointement des chaînes de valeur flexibles et réactives.

Certains joueurs de ce marché s’adapteront à ce modèle et s’épanouiront. D’autres décideront de battre en retraite ou d’explorer d’autres avenues. Ce qui est clair c’est que le succès ne sera pas déterminé uniquement par la capacité de l’entreprise; celui-ci dépendra de son habileté à maîtriser carbone, données et réglementations.

Regard vers l’avenir : un nouveau modèle d’affaires pour une ère nouvelle

Les carburants renouvelables représentent plus qu’une avancée technologique. Ils signalent un changement fondamental dans la manière dont la valeur de l’énergie est générée, exploitée et commercialisée. Avoir du succès dans cet environnement exige de nouvelles capacités : traçabilité numérique, agilité en matière de réglementation et un état d’esprit capable de percevoir la complexité non pas comme une barrière, mais plutôt comme un catalyseur d’innovation et de démarcation, à mesure que les consommateurs demandent de plus en plus une attestation et un suivi certifié des émissions de carbone pour leurs achats.

Pour les entreprises qui espèrent traiter les carburants renouvelables comme un combustible pétrolier traditionnel, le parcours qui se dessine à l’horizon risque d’être ardu. Cependant, pour celles qui sont prêtes à repenser leur modèle et à adopter la logique à double valeur des biocarburants, le trajet est clair : devenir chef de file dans une économie de l’énergie en évolution rapide, sécuriser à long terme de nouvelles sources durables de valeur et bâtir l’écosystème nécessaire à ce changement, qui est soutenu par des données validées et des systèmes vérifiables capables d’évoluer avec la demande.